PIERRE VASSILIU EN VOYAGE
Pour Pierre Vassiliu, ‘Voyage’ était le titre d’un album et une philosophie de vie. Voyager, c’était pas les vacances ou le repos. C’était des rencontres, de nouvelles musiques et parfois la vie tout simplement. Son œuvre s’est nourrie de ces expériences autour du monde, sa carrière lui a permis de poser le pied sur chaque continent. Mais ses plus beaux voyages, il les a faits dans les studios d’enregistrement.
«Mes parents sont arrivés comme ça, sur une plage, avec un camping-car. Ils se sont posés et on est resté des années.» Assise au bord d’un lac à Sète, Léna Vassiliu raconte comment ses parents, Pierre et Laura, ont choisi un coin vide de la région de Casamance pour gagner quelques années à s’aimer au soleil. Légitime enfant du voyage, elle a été conçue au Sénégal. A l’époque, sa maman disait: «Je veux accoucher debout en tenant un arbre, dans le bois sacré où seules les femmes peuvent entrer!». Aujourd’hui, sa maman ajoute: «Pierre n’était pas chaud, on a fini dans une clinique à Dakar.» Laura Vassiliu vit toujours à Sète, dans le même appartement qu’avant. Le dessin original de Folon pour la pochette de ‘Voyage’, encadré dans le salon, intensifie le spectre de Pierre. Laura se souvient bien des beaux moments et les voyages en font partie. «Y avait pas que les moments qui étaient beaux. Pendant les voyages, lui aussi était plus beau.» Ça lui faisait du bien, à Pierre, de tourner le dos à la France probablement déjà moche, tourner le dos à l’industrie du disque volatile et mercantile, tourner le dos aux familiers qui reconnaissaient sa moustache mais pas son talent. Voyageur par obligation dans sa jeunesse (l’Algérie et sa guerre), il devint voyageur par goût et acquit le goût des autres, indispensable à quiconque veut trotter autour du globe. Il voyageait aussi par nécessité. Quand ça souriait moins, un bateau, un avion, salut les cons. Tous ces voyages, il les a ramenés dans ses chansons.
«Chaque fois qu’on voyageait quelque part, on était attiré par la musique. Pierre prenait le rythme du pays où on était et trouvait une chanson.» Laura Vassiliu
1968 ~1974
1967, Rio de Janeiro. Vêtu de blanc, Eddie Barclay cherche des artistes pour son label. Il tombe sur le trio Camara et leur chanteuse Tita Lobo, la trouve incomparable et les convie à Paris graver un disque. A St Germain des Prés, ils deviennent les branchés du moment, Pierre Barouh leur propose de sortir un 33tours instrumental sur son label Saravah, il sera enregistré au studio Davout par Yves Chamberland, qui à son tour propose au trio de créer le premier album de bossa en français. Une bande de chanteurs et d’auteurs se monte autour du projet ‘Les Masques’: Anne Vassiliu, Nicole Croisille, des membres des Swingle Singers et Pierre Vassiliu. Pierre chante à l’unisson sur trois chansons et en solo sur une, qu’il a écrite: ‘Initiation’ où il cherche ce qui se cache derrière les lieux communs sur le Brésil. Alors en pleine remise en question de sa carrière dans l’humour, il montre sur ce disque aux chanteurs masqués une facette authentique qui amorce le virage vers une musique personnelle.
Sa sœur Anne lui présente la bande à Bernard Lubat, Bloch-Lainé, Berteaux et Claude Engel. Ce dernier sort avec Anne, ça les rapproche. C’est lui qui a l’idée d’une chanson brésilienne pour le single de 1973, ‘J’ai trouvé un journal dans le hall de l’aéroport’. Le percussionniste Emmanuel ‘Pinpin’ Sciot en était: «Il y avait tellement d’idées et d’inspiration. La chanson passe par des phases très différentes. Le passage des chœurs, quelle galère, on manquait de pistes. Les harmonies étaient inspirées par Crosby Stills & Nash, la musique venait de Bach. Nos héros s’appelaient Maurice Ravel et Claude Debussy.»
1975 ~ 1978
Premier effort après le foudroyant succès de ‘Qui c’est celui-là’, ‘Voyage’ sort en 1975. Il est rythmé par les secousses d’un train qui zigzague entre variétés, rythmes latins et jazz-funk inspiré de l’album de Herbie Hancock ‘Headhunters’, comme le prouve ‘Pierre bats ta femme’, un morceau au groove ricain, habillé de slaps de basse et de Clavinet (signé Georges Rodi) détonant un peu avec le thème du mari abandonné. Chronique de la vie ou prémonition, son couple avec Marie explose peu après, Laura est déjà dans son cœur. Il prend le large, son succès l’encombre. Mais poussé au cul par la maison Barclay, il tente de pondre un nouveau tube Brésil: ‘Tais-toi’, suivi de ‘Qu’il est bête ce garçon’, nettement plus réussi, en 1977. Laura y est présente, c’est elle qui répète la phrase-refrain. Ces singles n’auront pas de succès.
En 1978, il a changé. Auprès de Laura, il se sent rajeuni. Presque vingt ans les séparent. Son entourage musical bouge: Denis Van Hecke, le violoncelliste avant-gardiste belge, s’impose. Suit une bande de jazzeux hétéroclites contenant un pianiste martiniquais et des proches de Gong. A leurs côtés, Pierre se lâche dans l’improvisation, la voix qui aboie, les paroles qui ne riment plus. L’album s’appelle ‘Déménagements’, sur la pochette on le voit avec Laura, leurs enfants respectifs et leur camion. Pas un camion pour déménager, un camion pour vivre. «On l’avait transformé en camping-car, raconte Laura. Un copain nous avait fabriqué un faux permis poids lourd. On adorait ce camion. On était toujours en voyage. La bougeotte éternelle.» Le morceau d’ouverture, ‘L’oiseau’, voyage sur les terres de la poésie jazz et offre un trip halluciné à l’intérieur de son moi. Mais l’album sera son chant du cygne chez Barclay. Pas assez de succès.
«J’ai écarté mes ailes et sans parler à mon ombre, j’ai crié si fort que mon cri m’a devancé, me laissant sur place dans une nouvelle solitude.» Pierre Vassiliu (‘L’oiseau’)
1979 ~ 1980
Un autre label l’attend, RCA. Cette renaissance marque les débuts de Vassiliu l’africain. Au début, ce sont des voyages, bientôt il y vivra vraiment. Son nouveau disque, surnommé «la piscine» en référence à la pochette signée Daniel Authouart, est empli d’Afrique, et encore de reggae pour faire plaisir à sa jeune Laura, de progressif et d’impro. Denis Van Hecke constitue les fondations d’un nouveau groupe et invite son partenaire habituel, le clavier belge Frank Wuyts: «On était un groupe d’impro jazz free, on expérimentait, on travaillait avec des bandes. En studio, j’ai écrit des petites choses pour les chansons, j’ai été surpris de découvrir que Pierre m’avait crédité arrangeur.» L’Anglais Geoff Leigh: «Pierre nous a invité dans le midi enregistrer ce disque chez lui. L’ambiance était cool, sociable, il y avait des visites, des filles qui faisaient à manger, du vin, des drogues. Notre son, ce n’était pas la culture de Pierre mais il nous laissait faire. Une générosité magnifique. Il montrait les accords, chantait un peu et on improvisait.» La clarinette de Leigh et les percussions du camerounais Sam Ateba, hantent ‘Mange pas les bras Bokassa’, un titre cruel sur les touristes français qui viennent voir l’Afrique en évitant les salissures. Des types qui donnent leurs restes aux chats de l’hôtel sans un regard pour les enfants affamés derrière la grille.
On sent Pierre bien déprimé en 1979. Les voyages en Guadeloupe avec Laura l’adoucissent et inspirent de nombreuses chansons, notamment le single ‘Maryline’ et sa face B inédite ‘Fais-moi savoir’, hybride rock en français chaloupé Dom-Tom. Il trouvera sa place dans les concerts du début-80s, période ‘chaque titre part en impro’. Anne Vassiliu est souvent aux chœurs: «Parfois on était plus nombreux que le village où on jouait. Sur scène, Pierre parvenait à faire des choses qu’il ne savait pas faire sur disque, et le contraire était vrai aussi. Il nous arrivait (avec Laura) de chanter seins nus, le torse peint par Denis (Van Hecke), ou, avec Pierre, de rater notre entrée en scène parce qu’on fumait le pétard en coulisse. On était raides, on se collait au micro pour pas tomber. Chaque soir on devait souffler dans des bouteilles pour l’intro de ‘Tarzan’ (‘Il était tard ce samedi soir’), le morceau était tellement long qu’un musicien défoncé s’est évanoui!»
1981 ~ 1982
«Il débarquait, crade, râlant comme une bête sauvage, il était négatif, écœuré par le métier, se méfiait de chacun… RCA perdait conscience de son talent.» se souvient l’ex-attachée de presse, Brigitte Berthelot. «Travail, pour lui, c’était une insulte. Il était capable de ne pas venir sur une promo ou d’inviter quinze personnes à nos frais. Mais quand je venais le chercher en voiture, il m’attendait avec un cadeau pour mon fils.» Grâce à elle, il a la classe en veste blanche, un Melodica à la main, en train de chanter ‘Spiderman’ à la télé en 1982, une petite comptine des îles écrite sous la dictée de son fils Clovis sur l’album ‘Le cadeau’, qui a dû vivement désarçonner les chroniqueurs de variétés.
Juste après paraît un nouveau single, ‘C’est chaud l’amour’ et sa face B ‘Viens ma belle’, version contemporaine de ‘En Vadrouille à Montpellier’, invitation à un voyage urbain de bar en boîte se terminant dans un taxi parisien trop lent pour assouvir son envie de baiser. C’est le début d’une longue collaboration avec deux gamins: David Salkin et François Delfin. Ce dernier, guitariste, est l’auteur de la mélodie de ‘Viens ma belle’, jusque là utilisée en intro des concerts. Salkin est un ami de Dimitri Vassiliu (le fils), il a quinze ans la première fois que Pierre l’invite à jouer. « Il se régalait de nous écouter, nous offrait toute liberté. Malgré les soucis d’argent, il générait autour de lui des moments de fête, des tournées fantastiques. Un éternel bon vivant. Il m’a payé un djembé, le soir même j’en jouais sur scène. Il m’a confié la co-réalisation de ses disques (83/87). J’ai pu fréquenter des musiciens qui m’ont mis les poils, notamment Jim Cuomo» (clarinettiste sur ‘Viens ma belle’, entendu chez Pierre Barouh ou Marianne Faithful ‘Broken English’).
«Il n’avait pas envie d’être dans le système mais voulait en profiter.» Brigitte Berthelot
1983 ~ 2003
Viré de RCA, Pierre multiplie les voyages en Afrique et ça s’entend dans son nouveau disque, ‘Roulé Boulé’, qui déborde de percussions, koras et musiciens locaux. David Salkin: «Il était à fond, il avait aussi des danseuses. La world n’était pas encore à la mode, il était l’un des précurseurs, il l’a fait découvrir à tellement de monde. Le public qui allait le voir en concert ne s’attendait pas du tout à voir des Africains.» Musique noire et paroles noires, sur ‘Noix de cola’ Pierre rapporte l’histoire d’un jeune qui quitte son village pour la capitale et se fait tout voler sur la route, avec en conclusion un dilemme.
Dans la vraie vie aussi les nuages noirs arrivent: après un seul album sur CBS il est à nouveau remercié et doit rétrograder en label indépendant. Suivi d’un drame familial. C’est le début des très longues pauses au Sénégal. Envie de tendresse au soleil. L’amour renaît, Léna naît aussi, les Vassiliu reprennent un bar musical à Dakar, le Mamyflor, et Pierre écrit sur un cahier d’écolier ce qui deviendra ‘L’amour qui passe’ (1987), pochette ‘branchée’ et arrangements ‘modernes’. On y trouve le seul morceau afro-beat de Vassiliu, ‘Ça va ça va’, avec Tony Allen à la batterie, comme chez Fela, et l’évocation érotique d’une sorcière noire. Malgré la photo célèbre de Pierre en blackface, le disque ne vend pas assez et les labels des prochains CDs seront de plus en plus confidentiels.
Début 2000, la carrière discographique de Pierre semble à l’arrêt. Il faudra la force d’une poignée de fans dans sa ville, Mèze, pour permettre le financement d’un ultime album: ‘Pierre Précieuses’, mêlant Afrique, Guadeloupe, Amérique Latine, une reprise de Montand, une track “techno” et un folk dans lequel il incarne un fou. Son ami Patrick Robine: «’Pierre Précieuses’ était un compte-rendu définitif, un pot pourri de sa vie de voyages. Jusqu’au bout il a voulu transmettre la farce, la complicité, la malice. C’était un malicieux.» La chanson éponyme ‘Moustache’, issue de son goût pour la musique maloya réunionnaise, fournit une définition du travail qui le résume bien.
2014
Patrick Robine, qui a partagé de nombreux voyages avec Pierre, nous livre quelques secrets: «C’était la glande mais les journées étaient riches. Il attirait les aventures. On montait en voiture, il se passait un truc. Un nez pour dénicher des endroits fous qui n’avaient l’air de rien! On n’avait pas besoin d’aller loin, on rencontrait des gens, on voyageait à travers eux. Il aimait aussi s’asseoir au bout des pontons.»
Laura Vassiliu vit aussi avec ses souvenirs du Sénégal. Elle les ravive dans ses sculptures en terre cuite. «C’était le seul pays, disait-il, où il n’y avait pas de galère. A la fin de sa vie, il voulait repartir et y mourir. J’ai pas osé. Je regrette beaucoup. Je ne savais pas ce qu’était Parkinson. Je pensais qu’il fallait rester à côté d’un docteur. En fait ça ne servait à rien. Si je l’avais su à temps, je l’aurais emmené pour qu’il meure tranquille. C’était dur, la fin. Il ne pouvait plus jouer, il ne pouvait plus écrire, il devenait mince… Quand j’ai rencontré Pierre, j’étais mariée, j’avais 21 ans et deux enfants. Ç’a été un coup de foudre très emmerdant. Je pensais vivre une aventure avant de rentrer, mais non. Loupé! Pourtant personne n’y croyait.»
GUIDO CESARSKY/Voyages (2019) BORN BAD RECORDS
Merci à Laura Vassiliu, Léna Vassiliu, Anne Vassiliu, Brigitte Berthelot, Geoff Leigh Patrick Robine, David Salkin, Emmanuel Sciot, Frank Wuyts, Rémi Carémel, Catherine Philippe-Gérard, David Hadzis. Chaleureux saluts à Marie, Sophie, Clovis, Dimitri, Mélody et toute la famille Vassiliu. Bisous à mes familles Acid Arab, Crammed, Wart, XL, Psikopat et Viroflay. À Charlie.
Formidable chanteurxqur j’ai trouvé, pas assez reconnu c’est toujours pareil .ce sont les maisons de disques qui ont le dernier mot .alors que se sont les artistes/qui devraient diriger ce qu’ils désirent ce sont ont les créateurs !